SUPERMIIAAAOU !!!!
Il arrive parfois qu'une nouvelle illumine la journée d'un (vieux) lecteur de bédés. Oui, vous savez, ces machins qu'on trouvait en kiosques, qu'on payait en francs, et qui se présentaient sous la forme de fascicules proposant des récits et gags en noir et blanc et en couleurs... parfois accompagnés d'un petit gadget.
Je vous parle d'un temps que les moins de 40 ans... etc...
Eh bien, cette nouvelle, que m'avait confiée il y a un bon bout de temps Bilitis Poirier (la fifille de Jean-Claude) était le projet de l'édition en intégrale des aventures de "Supermatou" ET d'"Horace, cheval de l'ouest", deux créations de son papa pour Pif-Gadget au cours des années 70.
"ALLELUIA !" fut, de mémoire, le premier mot qui me vint alors à l'esprit.
Mais
Bilitis s'était lancé un défi homérique. Avec opiniâtreté, elle dut
retrouver la trace de tous les récits (y compris ceux qui n'avaient pas
été publiés dans le Pif-Gadget"normal", mais dans des
hors-série, etc.), et surtout rescanner en haute résolution et
retravailler chaque planche, retrouver les couleurs initiales, corriger
les (nombreux) défaut d'impression de l'époque (mauvais rendu ou
décalage des couleurs), et redonner à l'œuvre paternelle le lustre et le
dynamisme qu'elle méritait.
(Ci-contre : Bilitis Poirier avec un peu de doc, au cours d'un entretien destiné à la Ouf-Gazette, qui sera publié le mois prochain - Photo J-Luc M)
Parlons de Supermatou...
Il fit son apparition dans le n°321, sous la forme d'une annonce qui laissait présager l'arrivée d'un personnage vraiment fracassant, reprenant quelques codes de Superman... et ceux de sa parodie ! Mais s'il devait autant au personnage Maximax, créé avec Jacques Lob en 1964, qu'à celui de Superdupont (créé en 1972) ou même de Benoît Brisefer (créé en 1960), Supermatou et son acolyte le chien Robert avaient bien d'autres ambitions, et leur créateur allait offrir aux lecteurs de Pif-Gadget un véritable condensé de ses trouvailles loufoques, un remède contre les mercredis pluvieux et le véhicule débridé qui allait lui permettre d'ouvrir grand les vannes de son inspiration farfelue. (Oui : ce véhicule n'était autre que le fameux car à vannes, dont la légende hante encore les marges des feuillets d'humoristes en panne...)
Ci-dessus : la page d'annonce pour Supermatou dans le Pif-Gadget n°421, en avril 1975.
Saviez-vous, d'ailleurs, que la parution du héros fut précédée d'une véritable arnaque éditoriale auprès des lecteurs ? C'est hilarant, digne des gags de Poirier... et je vous raconte ça, avec Bilitis, le mois prochain ! ;-)
Les
récits de Supermatou, dont le costume subit quelques transformations au
cours de ses récits (vous ne vous en souvenez plus, mais tout au début
son costume comprenait une queue et était assorti de griffes aux
"pattes" !), avaient une particularité, parmi d'autres : ils étaient le
prétexte à une mise en abîme du rôle d'un (super) héros dans un journal
pour enfants et une remise en question du contenu d'une page de BD
comique, rien que ça. ! Les cases des histoires étaient souvent truffées de références ou de gags qu'on ne repérait qu'à la deuxième lecture, et parfois ces références venaient carrément phagocyter l'action en cours !
Avec cette série, les enfants qui lisaient Pif avaient droit à leur première leçon de post-modernisme loufoque... déjà à l'œuvre dans Horace, cheval de l'ouest. Avant Poirier, seuls Goscinny et Gotlib étaient parvenus à ce niveau dans la BD humoristique française, tout en restant lisibles par des enfants.
Poirier ne se privait d'ailleurs pas d'évoquer directement (et de manière iconoclaste) le journal où il paraissait ou faire allusion à d'autres personnages ou références extérieures à lui. C'est un peu pour cela qu'il reste si contemporain et que sa lecture continue de nous enthousiasmer.
L'autre raison à ce plaisir ultime, c'est le trait de Poirier : il parvenait à être à la fois rond et amical, tout en restant percutant, hyper-dynamique, mais sans jamais rien devoir à l'école franco-belge. C'est peut-être son plus grand exploit : à aucun moment, malgré l'inspiration dite des "gros nez", ne peut-on penser qu'il empruntait à Roba, Jidéhem ou autre Peyo, proposant au contraire sa propre syntaxe visuelle et son sens aigu (et personnel) de l'autodérision graphique.
Le plus grand ennemi de Poirier et Supermatou, à tout jamais, ne fut pas l'insupportable Agagax, mais bien l'esprit de sérieux.
Ci-dessus, dès la première bande du premier récit de Supermatou, un univers loufoque se met en place et on aperçoit déjà une mention très décalée au journal qui abrite cette histoire... (Et cet écriteau se répètera dans chaque case de la première page... et dans tous les sens.)
La réédition
Les éditions Revival proposent, avec Bilitis Poirier, une intégrale en 2 volumes.
Le premier volume parait aujourd'hui 17 mai, et c'est un pur régal.
Il s'agit d'un vrai travail éditorial de haute tenue, sur beau papier, qui va faire oublier les honteuses et approximatives éditions pirates, lesquelles se contentaient de compiler de mauvais scans, et elles étaient d'ailleurs incomplètes...
Bilitis a cherché à rendre justice au travail de son père, et pour cela s'est attelée à un travail de bénédictin (si j'utilise le féminin, on pourrait croire que j'évoque une liqueur...) qui lui a pris pas loin de 3 ans à temps complet (mais elle avait entamé son travail préalable il y a une douzaine d'années !). Non seulement elle a retrouvé les "vraies" couleurs de Supermatou et nettoyé chaque case, mais elle s'est donnée pour mission de ne jamais céder à la tentation du "faire joli" en ajoutant ici un dégradé, ou là un effet que seul l'informatique autorise.
On ne peut pas résumer la chose autrement : ce qu'on a entre les mains, avec ce volume de près de 300 pages, c'est tout simplement la quintessence du pur jus de Poirier ! (oui, j'assume) ;-)
J'ai un peu triché, en inversant l'image pour que vous puissiez admirer ce magnifique supermatampon ! ;-) |
Cerise sur la crème du gâteau :
Bilitis a réussi à convaincre (très facilement, car il était fan !) le célèbre Tampographe Sardon de créer de magnifique tampons à l'effigie des héros de Poirier ! Autant dire que les albums qu'elle aura l'occasion de dédicacer ne seront pas seulement signés, mais tamponnés pour en faire les joyeux de tout bédé-bibliophile qui se respecte ! Ah mais !
Infos de l'éditeur Revival : https://editionsrevival.fr/livres/supermatou/
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Le mois prochain, les abonnés de la Ouf-Gazette découvriront un grand dossier assorti d'un long entretien exclusif avec Bilitis Poirier au sujet de Supermatou, qui permettra de découvrir sa genèse (et au passage celle de son prédécesseur Maximax !), avec quelques archives personnelles, souvent très rares et inédites. Christian Flamand, qui fut l'assistant de Poirier, et reprit Supermatou pour le format "poche", m'a également confié ses souvenirs du travail avec Jean-Claude Poirier.
Et selon notre tradition, il y aura une version vidéo de ces entretiens !
Le portrait ci-dessous, réalisé à l'issue du 2nd des deux entretiens (celui qui fut filmé), présente Bilitis posant fièrement avec ce premier volume, en compagnie des personnages de son papa... ce dernier trônant (au sens littéral) derrière elle ! (Merci à elle, qui m'a trouvé et confié les illustrations à intégrer dans le décor !)
Ce portrait fera d'ailleurs partie d'une petite expo à partir du 29 mai, et il sera entouré d'autres portraits d'auteurs de BD ayant travaillé pour Pif-Gadget... entre autres chose.
(Du 29 mai eu 25 juin, au Baron Rouge, 1 rue Théophile Roussel, Paris 12e)
... et ZOUF !!!! ;-)
- Jean-Luc Muller