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Channel: De VAILLANT à PIF-GADGET - Journal de bord d'un film
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10. Pourquoi les Roumains pleurent de joie en évoquant PIF...

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PIF, un héros... roumain !

C'est peu de le dire : Pif a représenté beaucoup pour la jeunesse des années 60 à 80, bien au-delà de l'Hexagone.

Je ne parle pas seulement du personnage, évidemment, mais de toute la petite cosmogonie créée par les éditions Vaillant.

Et parmi les pays dont cette lecture a pu affecter la jeunesse de 3 générations au moins, il y a en première ligne la Roumanie.
Bien entendu, les éditions Vaillant émanant du Parti Communiste Français, les "pays frères" du bloc communiste ont eu droit à la lecture de l'illustré homonyme plus facilement que celle de Mickey... (et n'oublions pas que le chien Pif créé par Cabrero Arnal a débuté dans les pages du journal L'Humanité ! avant de s'imposer dans celles de Vaillant !).

Au-delà de ce contexte politique en toile de fond (une très grande partie des jeunes lecteurs de Vaillant et Pif-Gadget, en Roumanie, n'a jamais eu conscience d'une appartenance de ces revues à une quelconque mouvance politique), il y eut entre les jeunes Roumains et Pif-gadget, dès son apparition en 1969, une véritable relation fusionnelle, qui ne s'est jamais démentie et fait presque l'objet aujourd'hui d'un culte mémoriel.

Pour s'en convaincre, il suffit d'évoquer Pif auprès d'une personnalité roumaine en âge de l'avoir lu dans sa jeunesse. Non seulement ce journal a représenté (en particulier sous le régime Caucescu) un véritable bol d'air frais, au parfum de liberté et de fantaisie, mais qui plus est, il a donné envie à un nombre incroyable de futurs lecteurs de se mettre au français, ou de le perfectionner !
C'est précisément ce que disent les intervenants du reportage que l'on pourra visionner un peu plus bas.


Durant l'été 2012 s'est tenue à Bucarest une exposition intitulée "Pif en Roumanie, un héros de l'âge d'or". Elle était organisée par l'Institut Français de Roumanie, sous la direction de son attaché culturel Didier Dutour et Jean-Pierre Dirick (auteur du personnage enquêteur "Tim" dans la dernière mouture de Pif-gadget jusqu'en 1994) en avait été le commissaire. (un ancien dessinateur d'enquêteur devenu, le temps d'un été, "commissaire", c'est assez cocasse...)

Didier Dutour, attaché culturel en Roumanie, et Jean-Pierre Dirick
Le succès de cette expo et le type de commentaires nostalgiques et souvent poignants qu'elle a suscités donnent un peu la mesure de cette relation très spéciale de la Roumanie envers ce journal.
Et bien évidemment, il en sera question dans le film, dans une séquence assez riche dont je ne révèle rien ici... ;-)

J'ai tourné lors du Salon du Livre en mars dernier (dont l'invité d'honneur était la Roumanie !) un petit reportage autour d'une rencontre consacrée précisément à cette expo et à l'impact de Pif dans ce pays.
On y retrouve, hormis les 2 principaux protagonistes de l'expo, Jacques Kamb (auteur d'innombrables récits et gags dans Vaillant et Pif-gadget pendant presque 40 ans ! - voir ma chronique sur lui ici), des auteurs de BD roumains et à la fin, le témoignage de 2 personnalités présentes sur le salon, qu'on n'attend pas forcément sur ce sujet... 
(Lors de la rencontre, il y eut un moment très émouvant - que pudiquement je n'ai pas mis dans le montage - quand la traductrice, Mariana, se mit à fondre en larmes en entendant Alex Tamba évoquer la magie indicible de son premier Pif-gadget, reçu pour Noël, car pour elle aussi cette découverte de Pif dans son enfance était restée un souvenir merveilleux et la porte d'accès à un "ailleurs" souriant et plein de promesses...)

(cliquer sur l'image ci-dessous pour voir la vidéo : )


(Pour plus d'infos sur le contexte et le déroulement de l'expo, voir ici le blog que lui a consacré J-Pierre Dirick : )

Mais si je veux pouvoir illustrer de manière plus intime et détaillée ce qu'a pu représenter la lecture de Vaillant et Pif-gadget pour les jeunes Roumains, il m'est impossible de ne pas évoquer d'autres personnes (certaines apparaissant dans le futur film) pour lesquelles cette lecture de jeunesse a eu une conséquence très concrète. Si Alex Tamba (auteur de BD vu dans mon reportage) se souvient encore de son "plus beau Noël" dont le cadeau était 2 Pif-gadget avec lesquel il a pu s'endormir ; si Ileana Surducan (auteure de BD elle aussi) regrette de n'avoir pas connu à la grande époque "ce Pif dont tout le monde me parle depuis que j'ai commencé à dessiner" et si l'ancien Ministre des Affaires Etrangères roumain Adrian Cioroianu explique qu'il y a appris le français, je souhaite donner la parole à d'autres anciens lecteurs, dont les témoignages croisés apportent encore quelques précisions et le parfum du vécu :
Il faut tout d'abord mentionner Mircea Arapu

Ce dessinateur, peintre et auteur roumain aujourd'hui quinquagénaire a été baigné dès l'enfance dans les récits des auteurs des éditions Vaillant. A la fin des années 70, il créait le 1er fanzine de BD roumain en langue française et finit par réaliser un vieux rêve : venir en France et être accepté par la rédaction de Pif-gadget en 1982. On lui propose de reprendre le personnage d'Arthur le fantôme de l'un de ses dessinateurs préférés, Jean Cézard (décédé en 1977). Lourde tâche pour cet ancien lecteur, fan de la série et du style inimitable de son créateur, mais qui s'y emploie consciencieusement et surtout avec tout le respect qu'il voue à son Maître. Son style se perfectionne au fil des épisodes mais les années 80 ne sont malheureusement pas une période faste pour Pif-gadget, aux formules à géométrie variable et aux finances en dents de scie. Il quitte le journal en 1987. Mais il reviendra pour un tour de piste supplémentaire de 4 ans lors de la courte résurrection de Pif-gadget en 2004 et cette fois fera partie intégrante de la rédaction (et réalisera plusieurs couvertures du journal et illustrations intérieures, entre autres).

Quelques reprises d'Arthur le Fantôme par Mircea Arapu
J-Luc - Quel souvenir as-tu gardé de Vaillant, dans ton enfance ?

Mircea : "Dans mes plus anciens souvenirs, Vaillant existait déjà à la maison. Ses personnages, surtout ceux en couleurs, m’ont donné pour toujours la passion du dessin et de la peinture. Les premiers Vaillant étaient des recueils des années 1951-1952, et ont été remplacés par un abonnement au magazine vers la fin des années 50 qui a continué jusqu’en 1963. Ce journal m'a donné une envie irrépressible de découvrir la France et plus tard, d'y travailler. "

J-Luc : - Quelle importance a eu cette lecture, à ton avis, si on pense à ton futur parcours professionnel ?

Mircea : "Tout d’abord par l’image. Aux côtés des livres de mon enfance (entre autres, l’édition originale des aventures du Baron de Munchausen, illustrée par Gustave Doré), Vaillant a été pour moi le principal moteur de ma passion pour le dessin et du choix de ma future carrière. La lecture de ma collection m’a mis en état de penser en français. Vaillant était pour nous la soupape de la France et de l’Occident."

J-Luc : Qu'ont pu représenter, justement, Vaillant et Pif-gadget pour la jeunesse roumaine ?

Mircea : "Pour plusieurs générations d’enfants et de jeunes, entre 1950 et 1989 pour faire court, Vaillant et Pif ont représenté la possibilité de communication et de liaison avec un monde interdit. La France découvrait l’année dernière l’importance, souvent oubliée, qu’à eu cette publication, pour la prolongation en période communiste de la francophilie historique des Roumains."

Mircea Arapu a écrit un livre-témoignage déjà paru en Roumanie et qui devrait prochainement paraître aussi en France, dont le titre résume bien son propos : "Quand je serai grand... je ferai Pif !" 

Nous retrouverons Mircea Arapu prochainement sans doute, et de toutes les manières, il fera partie de l'aventure de ce film - en tant qu'ancien collaborateur de Pif-Gadget, mais aussi pour son regard sur certains des auteurs et rédacteurs du journal, sans mentionner évidemment son expérience de lecteur roumain ! :-)

Mircea a créé un blog, dans lequel cette page offre son regard (et ses photos) sur l'exposition :


**********

Parmi mes rencontres liées à Pif dans le cyber-espace, il y a Lucian Ciucu.
Réalisateur pour la Télévision Nationale Roumaine, il a insisté auprès de sa hiérarchie pour "couvrir" l'exposition sur Pif en 2012 pour la télé. Il était impensable pour lui de ne pas en conserver une trace. 
il considère lui aussi que sa vie a été marquée de façon indélébile par sa lecture de Vaillant et Pif-gadget :

J-Luc : ton premier souvenir de Pif ?

Lucian : "C'est vers 9-10 ans que j'ai commencé à acheter mes premiers Vaillant, par l'intermediaire d'un bon ami de mon grand-pere (ex-camarade de prison politique), qui tenait le kiosque de journaux de la gare de Piteshti (ma ville natale). J'ai pu me procurer le seul exemplaire de Vaillant qui arrivait par train dans cette ville-la, moyennant un petit pourboire (l'exemplaire coutait 4 lei et je lui en laissais genereusement 5 !).
C'etait presque l'événement le plus important de la semaine et l'accès au Vaillantétait vraiment très sélectif, en raison du strict contrôle idéologique de l'époque : seuls les gens bien placés au Parti pouvaient s'y abonner. Ca a été, donc, la première chance de ma vie et je ne l'ai pas ratée : en quelques mois, stimulé par la "bande a Pif", je me suis retrouvé presque magiquement à comprendre le français !"

(Son premier souvenir marquant - à la lecture du premier Vaillant qu'il ait eu entre les mains vers 7 ans, sans comprendre les textes encore - a été une grande planche de Cézard tirée de l'histoire "Arthur contre César", où il découvrait du même coup ses premiers... Gaulois. Ensuite, avec Pif-gadget, il s'identifiera tour à tout à Teddy Ted, puis Corto Maltese.)

J-Luc : Quel impact a pu avoir cette lecture d'enfance sur le reste de ta vie ?

Lucian : "Vaillant - Pif a marqué pour toujours ma vie. Comme je disais, cette lecture a contribué à parfaire mon francais (stupéfiant mes profs à l'ecole !), mais aussi m'a permis plus tard de lire en francais des bouquins essentiels de philosophie ou religion, interdits ou introuvables en roumain sous le régime communiste. Et ca m'a aidé énormément, apres 1989, dans mon nouveau métier de réalisateur (notamment de films à sujets religieux, les premiers en Roumanie - pour la chaine nationale de TV.)
Puis, Vaillant a été une exceptionnelle école de dessin. J'ai fait quelques etudes en la matière, mais en analysant et copiant allegrement les grosses pointures de Pif, j'ai compris le mouvement et la dynamique interne du dessin, envisageant le graphisme d'une maniere vivante, éloquente. Même si je ne suis jamais devenu un dessinateur professionnel, j'ai publié dans de grands journaux et revues roumaines, j'ai fait des couvertures et des illustrations pour des livres, avec un certain succès. Et la "marque Pif" dans mes creations graphiques est indéniable..."

J-Luc : Que dirais-tu de l'influence qu'a pu avoir Pif sur les jeunes Roumains, y compris idéologiquement ?

Lucian : "Je pense que la Roumanie a été un deuxieme pays d'adoption pour l'univers Pif, en vertu de la facilité à parler français des Roumains, qui sont des Latins (tandis que, pour les pauvres pifophiles Hongrois ou Bulgaires, le français devait être de... l'hebreu!).
Il y a peut-etre ici aussi des influences qui tiennent de l'Histoire. Les jeunes qui ont connu et fréquenté Vaillant-Pif etaient des gens dont on pourrait considérer aujourd'hui qu'ils font partie de l'élite intellectuelle roumaine. Et ils sont tous redevables de "l'expérience Pif", qui a été une fenêtre ouverte vers la culture occidentale (qu'on supposait, à l'époque, libre et favorisant la dignité humaine). On savait que Pif provenait des milieux communistes, mais on n'a jamais pu y dénicher une quelconque propagande pernicieuse - on aurait sûrement laissé tomber si on avait decouvert des tentatives propagandistes dans cette publication. Donc, contre tous les détracteurs occidentaux de Pif, je lui confère un "certificat de propreté ideologique" !"

Le documentaire pour la télé roumaine réalisé par Lucian, à l'occasion de l'exposition de Bucarest, qui est l'occasion pour lui de raconter l'histoire de Vaillant et Pif :
http://www.youtube.com/watch?v=o6tCJoCmIyA

**********

Enfin, il y a une personnalité incontournable : Dodo Niță.

Reconnu aujourd'hui comme le plus grand spécialiste de la BD en Roumanie, il a organisé le Salon de la Bande Dessinée en Roumanie (avec l'aide de l'Alliance Française), qui connaîtra cette année sa 23e édition. 

L'"interview" ci-dessous est en réalité une version remaniée de son portrait tiré du catalogue de l'exposition de Bucarest en 2012 :

"Je me souviens encore aujourd'hui, avec le même plaisir indicible, ce jour du mois de janvier rigoureux de la première semaine de l'année 1977, quand le facteur a sonné à ma porte et m'a remis une publication sous cellophane. 
Après avoir fermé la porte, j'ai commencé à pousser des cris tout en sautillant de joie : je tenais entre mes mains la revue "Pif-gadget". 
Il s'agissait du numéro 402. 
Pif-gadget 402
Le lendemain, je demandais à mon prof de musique de nous apprendre l'ocarina... car cet instrument était le gadget de ce numéro ! 

L'histoire avait commencé un an auparavant, quand j'avais vu pour la première fois quelques Vaillant chez mes camarades plus âgés. "

(Dodo Nita raconte ainsi, comment démarre "son" histoire personnelle avec Pif-gadget, alors qu'il a 13 ans. )

"Mes parents ont accepté de m'abonner à la revue, ce qui était relativement facile pour eux car ils travaillaient à la Poste. Mais son prix était était élevé : 500 lei par an. J'ai appris plus tard à quel point j'avais été un "privilégié" du régime communiste, car beaucoup d'enfants souhaitaient s'abonner mais n'y parvenaient pas. Souvent, ils devaient ajouter au prix de la revue vendue au numéro par un kiosquier un pourboire conséquent, de la main à la main."

Influence de Pif-gadget sur la suite...

"Lorsque j'ai eu mon premier "Pif-gadget", je n'étudiais le français que depuis 2 ans, et j'étais obligé d'avoir recours sans cesse au dictionnaire pour comprendre les dialogues des histoires. Je me souviens encore de l'histoire de Loup-Noir face au grizzly, de Docteur Justice dans une expédition en Arctique, de Horace, cheval de l'ouest... J'ai rêvé pendant une demi-journée avec ces héros et la diversité qu'offrait cette revue.
Pif-gadget m'a permis de découvrir des écrivains français, dont on adaptait des récits en BD : Jules Verne, Robert Merle, Victor Hugo... J'y ai également puisé des valeurs qui m'ont aidé à forger mon caractère.

J'ai conservé un intérêt pour la bande dessinée, au point de partir en France après la chute du régime Caucescu, à la rencontre de quelques créateurs de mes personnages préférés. J'ai pu ainsi interviewer Tabary, Greg, Cance, Chéret, Corteggiani, etc..."

(Dodo Niță a écrit plusieurs ouvrages sur la bande dessinée (et récemment, avec l'aide de son ami Mircea Arapu, le premier ouvrage sur l'histoire de la bande dessinée roumaine).
Il prépare également la publication d'un ouvrage autobiographique, dans lequel Pif-gadget tiendra une place centrale...)

Mircea Arapu et  Dodo Nita
*********************
Ajoutons à ces témoignages, celui de Vladimir PACURARU, dont le grand-père reliait lui-même tous les Vaillant et qui vit et travaille aujourd'hui en France. On peut le lire dans "Mon Camarade, Vaillant, Pif-gadget : l'histoire complète 1901-1994" de Richard Médioni.
(cliquer sur la couverture)

Il y a également cet article du site ActuaBD, autour de la BD roumaine et l'influence de Pif (où l'on retrouve 2 personnages déjà cités...) :

(les photos - hormis les miennes - appartiennent à leurs auteurs respectifs, que je n'ai pas su identifier pour la plupart. Qu'ils me préviennent pour que j'ajoute ici ou là un crédit sous l'image qui les concerne)


Je rencontrerai ces anciens lecteurs, toujours passionnés par cette revue découverte dans leur enfance et qui a bouleversé le cours de leur existence. A travers eux, j'aimerais partager un peu de la flamme - candide et brûlante à la fois - qui anime tous ceux qui ont eu la chance de connaître cette "révélation"à travers une revue de papier que d'aucuns, dans son pays d'origine, traitaient souvent avec condescendance et même parfois avec mépris. 
Comme quoi, il faut parfois savoir inverser la perspective pour mieux apprécier les choses importantes.





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